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Le journal d'un marocain au Canada
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Le journal d'un marocain au Canada
29 mai 2006

L'armée marocaine

Maroc
L'armée

arm_e

« Au Maroc, l’armée reste une force mal connue, la presse n’en parle jamais sinon pour exalter son rôle dans la "défense du trône". Commandée par le roi, qui cumule les titres de chef suprême et de chef d’état-major général, son budget, lorsqu’il est présenté aux députés, ne fait l’objet d’aucune discussion. Il est voté tel quel.

Depuis les deux coups d’État fomentés par l’armée au début des années 1970, Hassan II méfiant à l’égard des militaires, les faisait surveiller par la gendarmerie de l’inamovible général Housni Benslimane. Pas un déplacement de l’armée n’est passible s’il n’est encadré par les gendarmes. Et, lorsque des exercices de tirs sont organisés, la gendarmerie est là qui fait les comptes des munitions utilisées. "Benslimane est le vrai patron de l’armée", affirme un officier sous couvert d’anonymat.

Pour ôter à ses généraux toute velléité de coup d’État, Hassan II avait imaginé une autre parade : les enrichir par l’octroi de fermes agricoles, de lotissements à bâtir ou simplement en les laissant se livrer à toutes sortes de trafics juteux. La recette a été efficace. Grâce aux largesses du roi défunt, à son laxisme, quantité d’officiers supérieurs ont bâti des fortunes colossales dans l’immobilier, l’agriculture, la pêche ou l’industrie.

"Des grades au commandement des unités, tout ce qui est source d’enrichissement rapide s’achète et se vend", accuse un officier d’infanterie. Les bons de carburant distribués aux unités sont revendus à l’extérieur des casernes. Des officiers prélèvent leur dîme sur la nourriture destinée aux soldats. D’autres n’hésitent pas à mettre la main sur les primes octroyées aux militaires en garnison au Sahara occidental. Au Maroc où le chômage des jeunes atteint des proportions catastrophiques, il faut même payer pour pouvoir être enrôlé dans l’armée. » Extraits d’un article de Jean-Pierre Tuquoi, Le Monde, décembre 1999.

L’affaire Mustapha Adib

« L'histoire de ce jeune officier d'aviation - il a 31 ans - bien sous tous rapports commence en octobre 1998. Choqué de voir son lieutenant-colonel arrondir ses fins de mois en revendant le carburant destiné à l'armée, il écrit au futur Mohammed VI, alors prince héritier et coordinateur des bureaux et services de l'état-major. Le prince ordonne une enquête, qui confirme ses dires. Le lieutenant-colonel coupable de détournement est poursuivi et condamné. Mais la hiérarchie militaire, elle, se venge : brimades, humiliations, mutations... Le jeune capitaine décide, malgré le règlement, d'alerter la presse étrangère. Son histoire est publiée le 16 décembre dans les colonnes du Monde. Poursuivi en justice pour "violation des consignes militaires et outrage à l'armée", il a été condamné, le 17 février, à cinq ans de prison, au terme d'un procès à huis clos émaillé d'incidents de séance, mais qui aura eu le mérite de poser - au grand jour - le problème de la corruption ». L’express mars 2000.

Mutapha Adib a été condamné à la peine maximale par le tribunal militaire de Rabat (cinq ans d’emprisonnement) au terme d’un procès à huis clos sans que ses droits à la défense ne soient respectés. La condamnation a été cassée par la Cour suprême en juin 2000 une première au Maroc. Un second procès du même style réduit la peine de prison de moitié en octobre 2000. Comme lors du premier procès, le tribunal a refusé d’entendre Moustapha Adib ainsi que les témoins de la défense. En février 2001, la Cour suprême rejète le pourvoi en cassation. Le jeune officier reste en prison. La hiérarchie militaire a été plus puissante que la Justice.

En 2000, Transparency International, une ONG spécialisée dans la lutte contre la corruption, lui a décerné le Prix de l’intégrité 2000, maigre consolation pour le jeune homme qui a été déchu de son grade et rayé des cadres de l’armée par le roi Mohammed VI.

Mohammed Adib a été libéré en mai 2002 après avoir purgé sa peine de deux ans et demi de prison. Il ne sera pas réintégré dans l'armée.

La Grande Muette sort de sa réserve. Les militaires paradent, communiquent et se réconcilient avec le peuple qu'ils ont parfois agressé sous Hassan II. Mais la transparence a un prix. Les politiques demandent un droit de regard sur leur “mystérieux” budget et une réhabilitation de feu le ministère de la Défense.


Les espions sont restés sur leur faim. Les James Bond dépêchés à Rabat par de nombreux pays dont nos voisins algériens, pour lister les armes et autres petits secrets militaires, ne sauront pas grand-chose sur l'arsenal de Mohammed VI. Sur le conseil des Américains, la

décision de ne pas faire étalage de l'arsenal militaire marocain a été prise au dernier moment puisque les chars avaient déjà fait le déplacement de la base de Guercif à Salé. On a bien remisé les chars mais par contre, la plupart des corps d'armée ont été sollicités pour participer au premier défilé militaire de Mohammed VI célébré dans une ambiance festive. Une atmosphère de fête foraine marquée par le déplacement, pour une fois parfaitement volontaire, de milliers de curieux, venus des villes et des campagnes avoisinantes admirer la parade de ces soldats en tenue immaculée.

Le pouvoir militaire parade face à la plèbe
“On est venu de Souk el Arbaâ. On était là à l'aube, ce n'est pas tous les jours qu'on a l'occasion de voir un défilé militaire”, s'enthousiasme ce paysan entouré de ses trois enfants. Aux Rbatis se sont ajoutés des milliers de provinciaux ainsi que des touristes qui s'étaient attroupés tôt dans la matinée de ce dimanche 14 mai. La fête a démarré avec l'arrivée du roi à onze heures, à Bab Soufara (la porte des ambassadeurs). Quelques “vive le roi, vivent nos vaillantes forces armées !” fusent au passage du cortège royal. Une parade de la fanfare royale ouvre la marche en direction de la grande tribune installée sur l'avenue Annasr (la victoire). Sur l’ordre du monarque, le défilé a été ouvert par un détachement de l'Académie militaire de Meknès, suivi des élèves écoles militaires et paramilitaires tels que les lauréats de la seconde année de formation des caïds et des unités de la Gendarmerie et de la Direction générale de la police nationale. Des détachements militaires de France, de la République démocratique du Congo, du Gabon, du Niger, du Sénégal et du Congo ont également paradé au son de la “Marche verte”, musique qui a symbolisé en 1975 la marche de 350 000 hommes vers le Sahara. Couleurs chatoyantes, têtes blondes et tenues exotiques ont ainsi égayé le défilé. “Ils sont là en signe de reconnaissance des services rendus à leur pays par les FAR”, précise un haut gradé pour expliquer cette présence inattendue. À proximité de la tribune royale, tout le gotha politique et militaire est au garde à vous. De l'autre côté de l'avenue, des quidams s'amusent à jouer à la devinette. “Le blanc, au fond, c'est Yassine Mansouri, le patron de la DGED, c'est un copain du roi” , “l'autre, le gros, qui regarde vers le premier ministre, c'est le fameux Laânigri, le directeur général de la Sûreté nationale”. Des commentaires, souvent distillés à voix basse, qui traduisent une curiosité bien légitime pour une population fascinée de voir autant de figures célèbres réunies en un seul endroit, à quelques mètres à peine de la plèbe.

Ils y étaient tous, les conseillers du roi, les ministres, les chefs des partis politiques, les ambassadeurs, les attachés militaires, les officiers supérieurs de l'Etat-major général des Forces armées royales, bref tout ce que le Maroc compte d'officiels. Sur le défilé lui-même, les avis ne sont pas particulièrement partagés. “La parade militaire nous remplit de joie et de fierté, c'est une occasion unique pour la population d'exprimer son admiration et sa reconnaissance aux FAR, bouclier du Maroc. Un défilé militaire est avant tout un hommage aux sacrifices de ces chahids”, s'enthousiasme un militaire à la retraite venu applaudir les jeunes recrues. De l'autre côté, la voix de Mustapha Alaoui, répercutée par un haut-parleur, stimule la ferveur des foules. Fidèle à son habitude, le célèbre speaker de la RTM puise à satiété dans le vaste corpus des superlatifs de la langue arabe : “S.M. le Roi Mohammed VI, Chef suprême des Forces Armées Royales, a tenu, en droite ligne de la Haute Sollicitude Royale envers l'institution des FAR, à conférer à ce défilé extraordinaire un caractère exceptionnel afin de l'inscrire en lettres d'or dans la mémoire nationale en tant qu'événement de grande portée” !

En fait, le défilé n'est que l'aboutissement d'une vaste campagne de charme des FAR qui a démarré avec l'ouverture des bases militaires au grand public. Il y a plus d'un mois de cela et pour la première fois dans l'histoire du Maroc, de hauts gradés sont passés à l'antenne pour commenter ces journées. A l'occasion, le roi a veillé lui-même “à impliquer les acteurs de la société civile dans cette célébration, en décidant l'organisation, à travers les différentes régions du royaume, de Journées portes ouvertes, qui, à notre grande satisfaction, ont connu une forte affluence des citoyens”.

Les généraux et la politique
Si la Grande Muette semble bien bavarde avec l'ouverture de ses bases au grand public, on ne sait pas grand-chose de la cuisine interne des casernes. En réalité, le débat sur l'armée semble devenir doucement l'affaire de tous mais il obéit à des règles du jeu plus subtiles qui mettent aux prises officiers de l'état-major et chefs de partis, généraux et ministres, députés et institution militaire. Au sein des partis de la Koutla, notamment l'USFP et l'Istiqlal, on peaufine les dernières retouches pour les propositions de réforme de la Constitution. L'armée y occupe une place de choix. Dans la mouture finale qui devrait bientôt voir le jour, les deux partis ne proposent pas moins que la création d'une sorte de conseil suprême de la défense à l'instar de ce qui se fait ailleurs dans certains pays développés.

Un député de l'Istiqlal, précisant qu'il s'agit là pour la gauche d'une question primordiale, n'oublie pas de rappeler que l'incident de l'îlot Leïla a mis l'USFP dans une situation particulièrement embarrassante. “Au cours du conseil des ministres qui s'était tenu au lendemain de l'incident, Elyazghi ne s'était pas privé de laisser éclater sa colère parce que le gouvernement dirigé par Youssoufi n'a même pas été mis au courant de l'accrochage avec les Espagnols”.

Plus récente, la prise de bec qui a mis aux prises Abderrahman Sbaï, le ministre délégué auprès du premier ministre, chargé de l'administration de la Défense nationale, et la commission parlementaire chargée de statuer sur le budget des FAR est révélatrice. “Nous avons été très surpris par le ton désagréable du ministre qui nous a clairement fait comprendre qu'il n'avait pas soumis le budget au Parlement pour qu'il soit discuté mais pour qu'il soit voté !”, s'indigne un député de gauche qui rappelle que le budget de l'armée (la loi de finances de l'année 2006 prévoit des dépenses militaires fixées à plus de 11 milliards de dirhams) continue à être du domaine du tabou. On comprend alors mieux que les partis de gauche militent fébrilement pour une hiérarchie confiée à des civils et pour plus de transparence dans les comptes de l'armée.

Vers un ministère de la Défense ?
Si on prend le modèle français qui semble inspirer les initiateurs de ce projet de réforme de la Constitution, le ministre de la Défense n'a de comptes à rendre qu'au premier ministre. Or, après les tentatives de coup d'Etat et les complots manqués (entre 1971 et 1983), les FAR ont été dépourvues d'une structure autonome de commandement et sont aujourd'hui totalement sous les ordres du roi, commandant suprême des armées. Ceci dit, le Palais n'est pas contre l'idée d'un civil à la tête de l'armée. La plupart des experts de la question militaire proches du sérail ne cachent pas que confier la gestion des affaires de l'armée à un civil est une option envisagée depuis longtemps. On parle même de Yassine Mansouri qui serait appelé, après une formation pointue à la tête de la DGED, à piloter dans un deuxième temps une structure civile chargée de superviser le fonctionnement et la stratégie de la Grande Muette.

S'achemine-t-on alors vers un véritable changement ? Passe-droits, carrières de sable, licences de pêche, trafics en tout genre, l'enrichissement légendaire et illicite de certaines figures emblématiques de l'armée appartient-il désormais au passé ? A la faveur de sa mission de chef suprême des armées, Mohammed VI ira-t-il jusqu'à remettre en question le pouvoir des officiers supérieurs les plus problématiques ?

Apparemment, le roi a déjà répondu à la question en mettant à la retraite, quelques mois après son intronisation, de nombreux généraux dont les deux fameux patrons de la DGED, le général Kadiri et le général Harchi. Plus encore, le roi a systématisé le départ à la retraite à l'âge légal de nombreux officiers, “décision souvent très mal vécue par des officiers supérieurs habitués à jouir de privilèges liés à leur grade jusqu'à leur mort”, commente un officier en poste.

Exceptions qui confirment la règle, les généraux Benslimane et Bennani ne seraient pas sur le départ contrairement à ce qui se dit. Selon des observateurs avertis, ni l'un ni l'autre ne sont prêts à remettre le tablier. Pragmatisme oblige, le premier a fait de la gendarmerie un corps d'élite et maîtrise de plus la sécurité du pays et celle du Palais royal à merveille et le second, inspecteur général des FAR, est également le commandant en chef de la zone sud. “Bennani a une connaissance remarquable du Sahara, de la zone et de ses hommes”, rappelle un gradé qui a travaillé avec lui au Sahara. Par la même occasion, il gère aussi les deux tiers de l'armée marocaine (près de 150 000 hommes) stationnés au Sahara. Or dans le sud, l'activisme de la troupe ne se limite pas à se préparer au combat, les soldats se chargent aussi de mettre en place des infrastructures et d'améliorer les conditions de développement économique de la région.

Avec Hassan II, le conflit du Sahara devait occuper l'armée à des affaires autres que politiques et l'éloigner du centre du pouvoir. A l'époque, avec la perspective quasi permanente d'un coup militaire, l'armée représentait une menace pour le régime ; aujourd'hui, selon une voix autorisée, elle “va permettre à Mohammed VI de renforcer ses pouvoirs et de resserrer le champ politique face aux revendications des partis et des syndicats, le roi se positionnant de plus en plus comme le véritable garant de l'unité du pays”.

Au service du peuple ?
Cela signifie-t-il que l'armée sera vraiment au service exclusif de la population ? C'est du moins le rôle que semble lui réserver le monarque qui a insisté pour que le cinquantenaire de la création des Forces Armées Royales soit célébré, sous la devise “l'Armée est au service du peuple”. Belle formule, censée faire oublier les désagréments passés. Le peuple n'oublie pas que les forces armées ont été appelées à intervenir sévèrement pour maintenir l'ordre lors d'émeutes populaires en 1965, 1981, 1984 et 1990.

Paradoxalement, explique un expert, “pour l'homme de la rue, l'armée jouit d'une certaine aura, puisqu'elle reste quand même la garante de la sécurité et de la défense du pays. Contrairement à ce qu'on pourrait penser, l'opinion publique n'est pas indifférente à ce qui se passe dans les casernes. On le voit clairement, lors de la première guerre du Golfe quand la rue a manifesté clairement son opposition à l'envoi des FAR en Irak”. C'est d'ailleurs ce qui a poussé l'IER à insister dans ses recommandations pour que l'armée, comme les autres services de sécurité, soit soumise au contrôle des parlementaires et au regard des élus. C'est l'unique moyen aujourd'hui de réconcilier définitivement la population avec les troupes.

Tel Quel.#226.

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